Le Pays de Gex et ses frontières
Le Pays de Gex était une petite province qui s'étendait au nord-ouest du lac de Genève, au pied de la haute chaîne du Jura. Elle isolait Genève du reste de la Suisse, car la région de Versoix, sur les bords du lac, entre Genève et Lausanne, faisait partie de cette province. L'histoire du pays de Gex au Moyen Age peut se diviser en deux grandes époques si l'on considère les seigneurs qui l'ont possédé : des origines à 1353, il appartient à des seigneurs particuliers, et de 1353 à 1601, il est possédé par la maison de Savoie qui doit faire face aux entreprises des réformés helvétiques de Genève et de Berne qui occupent souvent le territoire. On peut se contenter de résumer cette histoire par quelques dates, puisque les fonds d'archives judiciaires de cette province ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle :
avant 1252 : le Pays de Gex est possédé par la famille de Gex
1252 : Léonète de Gex épouse Simon de Joinville, de la famille du célèbre chroniqueur
1292 : Léonète et son fils Guillaume de Joinville octroient une charte de franchises aux habitants de Gex
1344 : Hugard de Joinville lègue Gex à Hugues de Genève, seigneur d'Anthon
1353 : Amédée VI de Savoie s'empare de la ville de Gex et crée une baronnie
1455 : le Duc de Savoie vend la baronnie de Gex à Jean, comte de Dunois
1515 : Charles de Savoie érige la baronnie de Gex en marquisat au profit de sa soeur Philiberte
1536 : les réformés de Berne et de Genève occupent le pays de Gex jusqu'en 1567
1589 : nouvelle occupation bernoise du Pays de Gex jusqu'en 1601
1601 : le pays de Gex est rattaché à la France par le traité de Lyon.
Le traité de 1601 qui annexait la Bresse, le Bugey et le Pays de Gex à la France, faisait du Rhône la nouvelle limite entre la Savoie et la France, le cours du fleuve étant français. Cependant il y eut des enclaves de part et d'autre, la Savoie conservant la vallée de la Valserine et la France se faisant concéder quelques têtes de ponts sur la rive gauche du fleuve, notamment Aire, Avully et Chancy en face du pays de Gex, occupés par Genève. Le Pays de Gex lui-même faisait l'objet d'un article particulier dans le traité (article IV) : "Le dit sieur Duc cède aussi, transporte et délaisse au dit sieur Roy la baronnie ou bailliage de Gex avec toutes ses appartenances et dépendances, ainsi que le dit sieur Duc et ses prédécesseurs en ont cy-devant jouy. Et sans y rien réserver, ny retenir, sinon de ce qui est de delà le Rosne, hormis les villages et lieux d'Ayre, Chanssy, Avully spécifiés ci-dessus. Le tout à condition que les dites choses cédées seront et demeureront unies et incorporées à la couronne de France et seront réputez domaine et patrimoine de la couronne et n'en pourront être séparées pour occasion que ce soit. Ains tiendront lieu et pareille nature que les choses eschangées qui seront déclarées ci-après" (1).
Par la suite, les prétentions constantes de la République de Genève sur le Pays de Gex, qu'elle avait occupé longtemps, entraînèrent des modifications constantes de la frontière.
Les limites avaient été établies en 1538, puis en 1564 (traité de Lausanne) et en 1574, alors que les Bernois occupaient le pays. Mais après 1601 et surtout à la suite des contestations nombreuses qui étaient survenues en raison de la vétusté de ces limites, la frontière fut rénovée plusieurs fois, notamment en 1609 et par le traité du 8 avril 1753 (2), suivi de nouvelles transactions pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. On notera que la république de Genève possédait des enclaves dans le pays de Gex, en particulier la terre de Pénay qui se trouvait isolée de Genève par le Pays de Gex et la Savoie (3). On notera aussi que les commune de la vallée de Chézery qui furent réservées à la Savoie lors du traité de 1601 et qui appartiennent depuis 1815 à l'arrondissement de Gex, firent partie, depuis leur rattachement à la France (traité de Turin de 1760) jusqu'à la Révolution, du bailliage de Belley.
Le bailliage de Gex
Les sires de Gex semblent avoir disposé d'une cour de justice. Sous l'administration savoyarde, le pays de Gex, placé sous le commandement d'un bailli, fut divisé en châtellenies : Gex, Versoix (réunie à celle de Gex vers 1433), La Corbière et Ballon. "La châtellenie de Gex englobe, au XIVe siècle, les sauteries de Cessy, de Bossy, de Flies, et de Saint-Jean[de-Gonville] et la prévôté de Gex. La sauterie ou mistralie de Saint-Jean-de-Gonville comprend en 1363, les villages et hameaux de Collonges, Ecorans, Asserans, Pougny, Farges, Logras, Peron, Saint-Jean, Malval et Dardagny. Elle comprend aussi le vidomat de Peron, petite unité fiscale et judiciaire de très faible envergure. La mistralie est administrée par un métral ou sautier qui rend ses comptes au châtelain de Gex" (4).
Dès le rattachement du Bugey à la France, Henri IV avait créé, comme nous l'avons vu dans la première partie de ce répertoire, un bailliage présidial à Bourg. Cet édit de création, daté de juillet 1601, portait en même temps la création d'un bailliage pour le Pays de Gex:
"Au quel siège [le présidial de Bourg], voullons que ressortissent nuement et immédiatement toutes les appellations des justices subalternes, sièges et juridictions tant du dit païs de Bresse que de ceulx du Bugey, Veromey, Geys et aultres lieux à nous remis par le dit eschange" […]. "En oultre, avons institué, créé et érigé par ces mesmes présentes, créons et instituons et érigeons deux offices de lieutenans civil et criminel, l'un pour le païs de Beugey, Veromey et des terres y juinctes, et l'aultre pour le païs de Geys, selon qu'il nous a esté cédé et remis avec un procureur pour nous et un greffier, ensemble quatre sergens pour chacun des dicts sièges particuliers" (5).
Devant le bailliage de Gex se plaidaient, en première instance, "les affaires de la baronnie de Gex qui comprenait la ville de Gex et les paroisses ou villages de Cessy, Chevry, Crozet, Maconnex, Meyrin (maintenant en Suisse), Pouilly, Saconnex (idem), Saint-Jean-de-Gonville, Sauverny, Thoiry, Tougin, Vernier (idem), Versoix (idem), Versonnex et Vesancy.
"La baronnie de La Pierre, la justice du prieuré de Prévessin et celles des autres seigneuries du Pays de Gex ressortissaient par appel à ce bailliage.
"Le bailliage de Gex était le dixième bailliage principal du gouvernement de Bourgogne. Il y avait un juge ordinaire et un juge d'appel. Les appels de ce dernier juge se relevaient au présidial de Bourg, au premier chef, et au parlement de Dijon au second" (6).
La composition du personnel du bailliage est donnée par divers ouvrages d'époque : "Le siège du bailliage de Gex établi en cette ville, est composé d'un bailli d'épée, de sept lieutenant civils et criminels et autres officiers qui sont pourvus par le Roi sur la nomination du prince de Condé, seigneur engagiste. … Il y a aussi une châtellenie qui ne connaît des causes que jusques à la concurrence de 60 livres" (7).
Un mémoire confirme aussi cette description : "Il n'y a qu'un seul bailliage royal dont le siège est à Gex ; il est composé de 3 officiers, un lieutenant général, un lieutenant criminel, un procureur du Roy. Il ressortit nuement au Parlement de Bourgogne et dans les cas de l'édit au présidial de Bourg. Il n'y a aucunes terres qui aient leurs juges d'appel et dont les appellations soient portées directement au Parlement sans passer au bailliage" (8).
La maison du bailliage de Gex "fut acquise au nom du Roi par Daniel Vallin, son procureur au bailliage de Mre Pierre Desbrosses, seigneur de Tournay, conseiller du Roy, lieutenant général civil et criminel du dit bailliage, pour la somme de 3600 livres, par acte passé devant Marchand, notaire demeurant à Asserans, le 27 mars 1615" (9). Cette maison fut par la suite entretenue par la province.
Pour les châtellenies et les justices seigneuriales, on se reportera à la sous-série 40 B et suivantes.
Le Pays de Gex était régi par le droit écrit (10). On se reportera donc à ce qui a été dit du droit suivi en Bresse et en Bugey. On notera toutefois que le droit coutumier diffusé par le parlement de Dijon semble avoir pénétré plus lentement dans le Pays de Gex que dans les autres provinces de l'Ain.
Notes
(1) Granet (Pierre). Stylus regius, Bourg, 1630, p. 106
(2) avec procès verbal des limites du 26 décembre 1752 et lettres de ratification du Roi du 2 août 1754, textes dans Arch. dép. Ain, C 1025.
(3) On trouvera une étude sur cette frontière et sur ses implications douanières aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec une carte, dans Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, Observations et projets présentés par le gouvernement de la république française, s.d. [v. 1931] : Annexe, Note au sujet de quelques considérations historiques, p. 243 - 295.
(4) Malgouverné (Alexandre) et Melo (Alain), Histoire du Pays de Gex, I, L'administration savoyarde et la société gessienne, p. 109.
(5) Archives départ. Côte-d'Or, B, f° 107.
(6) Philipon Dictionnaire topographique de l'Ain, p. XLI.
(7) Courtépée, Description générale et particulière du duché de Bourgogne, IV, 1968, p. 525.
(8) Arch. dép. Ain, C 1018, Mémoire sur le Pays de Gex, 1763.
(9) C 1018, Pais de Gex. Annotations tirées des registres du païs de Gex.
(10) "Le Pays de Gex se gouverne par le droit écrit", C 1018.